DESCRIPTION (poétique)

DESCRIPTION (poétique)
DESCRIPTION (poétique)

DESCRIPTION, poétique

La description des êtres et des objets est l’une des fonctions littéraires les plus incontournables: avec son pendant, la narration, elle constitue une pièce maîtresse, sinon de l’explication, du moins de la représentation du monde à laquelle l’œuvre littéraire est appelée. Est-ce dire que l’une est indissociable de l’autre? Est-ce dire qu’elle est néanmoins repérable comme un élément indépendant «des représentations d’actions et d’événements qui constituent la narration proprement dite» (Gérard Genette)? Est-ce dire que l’on peut distinguer la «description ornementale» de la «description significative»: la première jugée plus futile, ayant un rôle «purement» esthétique, alors que la seconde donne sens aux êtres, ou à l’action, à moins qu’elle ne constitue, à elle seule, comme dans le nouveau roman , l’action même?

Si les critiques ou les lecteurs sautent, à l’instar de Roland Barthes, tel ou tel passage descriptif jugé ennuyeux dans un roman du XIXe siècle, que diraient-ils en lisant un roman baroque où le temps s’arrête si souvent pour laisser paraître le monde en «nature morte»? La méfiance des uns, l’ennui des autres proviennent de ce scepticisme profond à l’égard de toute forme de mimétisme qui prétendrait restituer le monde en modèle réduit, alors que celui-ci semble de plus en plus insaisissable. S’ajoute à ce malaise la difficulté de reconnaître comme mimétique une représentation derrière laquelle on sent tout d’un coup le poids de la théorie: celle, par exemple, qui vient justifier chez les romanciers du XIXe siècle l’usage plusieurs fois millénaire de la description. En effet, la description du bouclier d’Achille passe pour l’archétype du procédé. De même que la manifestation minimale du procédé, l’epitheton ornans , chargée de caractériser le héros, est aussi une «invention» homérique. Par la suite, le doute et le «soupçon» s’installeront là où les Anciens avaient la certitude qu’ils pouvaient non seulement «photographier» leur objet, mais aussi lui insuffler vie et lui communiquer cette énergie, «qui électrise et enflamme l’âme au point de lui faire voir comme présentes ou comme réelles des choses très éloignées, ou même purement fictives» (Fontanier).

Cependant, les classiques répugnent par «pudeur» (Morier) à pratiquer l’hypotypose , l’évocation quasi hallucinée de la réalité. Les modernes ont du mal à enrayer la contagion que Balzac transmet des objets décrits aux êtres qui sont en contact avec ces derniers. Ils ont encore plus de mal à arrêter le flux des catalogues minutieux des naturalistes.

Seule la poésie lyrique échappe à l’exigence du «réalisme» de la description, et cela au nom de la subjectivité acceptée comme jardin clos de l’imagination et de la figuration outre matérielle. Le mur de ce jardin-là sera escaladé par André Breton qui parlera d’une expérience immatérielle par excellence: celle de l’impression du «déjà vu» devant le «jamais vu». En reproduisant ou plutôt en citant un tableau de Max Ernst, les Jardins gobe-avions , il va au-delà de l’illustration, il décrit de la façon la plus objective (objet à l’appui) «cette floraison unique qu’on est tenté de prendre pour le bouillonnement radieux de la destruction» (L’Amour fou ).

Si l’on voulait étudier l’historique de la description, il suffirait d’observer les différentes techniques de la mise en scène d’un objet, par exemple celle de l’objet du désir — sujet obligatoire depuis Chrétien de Troyes: «La dameisele ot non Lunete et fu une avenanz brunete, molt sage et veziee, et cointe», en passant par le non moins conventionnel: «ses grosses boucles de cheveux qui s’échappaient sur ses joues, et faisant contraste charmant avec ses regards si pénétrants » (Armance de Stendhal), jusqu’à ce qui pourrait passer pour une caricature, tellement le cliché est usé: «ses cheveux se déplacent d’un mouvement souple, sur les épaules et le dos» (Alain Robbe-Grillet).

La critique moderne assimile volontiers à l’œil de la caméra l’observation des lieux de tel ou tel point de vue — ce que l’ancienne rhétorique classe sous des rubriques telles que chronographie (évocation du temps écoulé parallèlement à l’action), prosopographie (description de la personne), topographie (présentation de l’espace). Curieusement, le fait que la critique ne se soucie pas de distinguer et de répertorier les différentes transcriptions des sensations olfactives, tactiles ou auditives aurait tendance à favoriser cette assimilation.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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